L’absence de mon expérience avec le hidjab

[CW : Racisme, islamophobie]

En résumé, le hidjab, dit aussi « voile » ou encore « foulard », désigne un vêtement que peuvent porter des personnes musulmanes, généralement par des femmes cisgenres. Il est le sujet de nombreuses polémiques, notamment en France, et son port, ainsi que sa forme, varie et peut être obligatoire ou libre en fonction des pays, des milieux, des courants religieux propres à l’Islam et des cultures.

Je suis une personne racisée, musulmane, qui est née en France, qui a grandi dans un cadre familial assez traditionnel et strict. Dans un pays donc où l’islamophobie et le racisme sont constants. Ce sont des violences systémiques face auxquelles je suis confrontée, comme d’autres adelphes spirituel-le-s, quotidiennement. On a toujours parlé des enfants, jeunes filles et femmes dont les pères et époux les ont forcées à porter le hidjab. Ce genre de situation et autres récits stéréotypés sont souvent médiatisés et mis en avant dans le but de nourrir l’islamophobie et de la justifier par le biais de discours soi-disant progressistes, dénonciateurs, voire féministes. Comme si le conservatisme n’existait que dans les communautés musulmanes, comme si le patriarcat devait être combattu que lorsqu’il s’agit de l’Islam, alors même que les injonctions patriarcales touchant les enfants, jeunes filles et femmes existent aussi en dehors de l’Islam et des religions. Le but n’est pas de dire que ça n’existe pas, pour autant nous ne pouvons que constater l’instrumentalisation de ces faits pour stigmatiser davantage une minorité religieuse fréquemment résumée à des préjugés racistes. Vous savez le fait de croire que toute personne dite « arabe » est nécessairement musulmane. Ah ces racistes, faut pas trop leur en demander. Réfléchir sur l’absurdité de clichés et croyances oppressifs est un effort trop élevé pour la petitesse de leur esprit.

Pendant longtemps, cette hypocrisie (disons les termes) motivée, entre autre, par un racisme pas toujours assez questionné à Gauche et très défendu à Droite sur la carte politique, ne m’a pas permis de mettre des mots sur ce que j’ai vécu concernant le hidjab. Peut-être que d’autres se reconnaîtront dans ce que j’exprime ici. Durant mon enfance, je ne me suis pas vraiment posée de questions. J’exécutais ce qu’on me demandait de faire par contrainte, car étant enfant, notre pouvoir est moindre, que ce soit sur le plan de l’autonomie, matériel, mais aussi psychologique, sans parler du reste. En plus de cela, vivant dans un milieu familial violent, je n’avais aucun moyen pour défendre ma liberté, juste assez de quoi survivre. Ma spiritualité s’est donc développée dans un cadre où mes gestes étaient très contrôlés. Voyant que des personnes faisant partie de notre entourage familial commençaient à porter le hidjab (des cousines surtout, jeunes ou proches de l’âge adulte), j’avais déjà envisagé de le porter. Je voulais vivre l’exploration de ma spiritualité par l’expérience, tenter des choses, tout en tissant un lien plus personnel avec Allah, tout en conservant certaines traditions qui me parlent. Je ne prêtais pas la même interprétation au hidjab, ni la même importance, ça ne m’a pas empêché de vouloir le porter. Je me suis alors lancée pour en discuter avec la matriarche. Et tout de suite, un refus catégorique.

Elle m’a strictement interdit de porter le hidjab. Naïve, je pensais que ce n’était qu’une question de CV et d’études en me disant qu’elle avait exagéré. En grandissant, je me suis aperçue que ma génitrice n’avait pas seulement peur que je n’obtienne pas d’emploi ou que je sois victime de certaines remarques faites par des professeurs couleur lait fermenté.

Quand je me suis rappelée notre discussion, et des quelques conversations dans lesquelles elle me parlait de sa vie et de celle de ses sœurs, j’ai petit à petit compris. Il faut savoir qu’elle est immigrée, qu’elle est arrivée en France alors qu’elle était une jeune adulte, et que durant toute sa vie, elle a été témoin d’actes islamophobes envers ses sœurs, cousines, voisines qui portaient le hidjab. Des agressions, des insultes, du harcèlement, que ce soit dans le privé, la santé, le travail et j’en passe. Elle qui est si traditionaliste, je pensais que ça allait lui faire plaisir, et même que ce serait la dernière chose qu’elle me refuserait. J’ai eu totalement tort pour le coup. Ce jour-là, elle m’a parlé avec un discours apocalyptique, le tout avec un ton autoritaire, comme si j’allais provoquer une catastrophe : si je le portais, ce serait la fin de tout. Elle m’a raconté les pires récits (inventés ou non d’ailleurs) de femmes portant le hidjab qui ont été victimes d’actes islamophobes atroces, et a fini son argumentaire effrayant par l’ordre de ne plus évoquer le hidjab (pour elle, il était hors de question que je le porte un jour), accompagné de quelques menaces si je la désobéissais.

Oui. J’ai été menacée de plein de façons parce que j’ai osé dire « maman, peut-être que j’aimerais bien porter le hidjab ».

Voilà donc où peut mener l’islamophobie.

À une peur exacerbée, permanente, alimentée par un environnement anxiogène où la religion avec laquelle on grandit est diabolisée, où le féminisme n’est pas aussi solidaire qu’on le pense selon les branches, parce qu’une personne voulant porter le hidjab représenterait un recul à « nos luttes », une manière originale de dire « je ne suis pas raciste, mais… », et où la tenue des personnes et femmes musulmanes est un sujet à débat tout le temps. On ne parle pas de ces parents qui ont vécu, vivent ou vivront tellement dans l’angoisse de voir leurs enfants galérer et être la cible d’attaques qu’iels décident de les priver de leurs propres choix sur leur manière de vivre leur spiritualité, quand bien même ça irait dans le sens de leurs sacro-sainte traditions pour les plus conservateurices d’entre elleux.

Cela fait donc des années que je réfléchis encore et toujours. Ma tête a été remplie (et pas couverte du coup) par cette crainte poussée à son maximum, si bien que je ne sais même plus quoi en penser juste en écrivant ces lignes. Même en étant consciente de tout ça, je n’arrive pas à faire ce choix, parce qu’une voix intérieure me chuchote constamment que je vais prendre encore plus cher. Je vis déjà ces violences avec leurs spécificités misogynes et queerphobes. J’ai ressenti cette peur d’être encore plus exclue dans des milieux militants qui s’en foutent de ces oppressions, en sachant qu’on est déjà invisibilisées pour plein de raisons, notamment parce que même à Gauche il y a du racisme (et oui, c’est pas q’un truc de droite, quelle surprise, je suis l’étonnement).

C’est quand même sacrément éloigné du genre d’histoire qu’on aime raconter sur les chaînes télé, au moins aussi fiables que l’esprit critique de Dora Moutoz et dont les informations sont parfois aussi réalistes que la relation père-fils de Damien Rieurk (oups ça a glissé tout seul). Ces histoires, en attendant, existent. Et ce petit témoignage est un exemple parmi d’autres. Si on ne tente pas de nous dissuader, on peut nous forcer à ne pas porter de hidjab.

J’aurais dû avoir le choix. Et il n’est toujours pas normal de devoir faire du contorsionnisme cérébral pour le faire.

Aux personnes féministes qui pensent encore que le hidjab enferme les personnes et femmes musulmanes plus qu’il ne leur permette de vivre comme elles le désirent, il faudra me dire en quoi un bout de tissu qu’on choisit de porter ferait reculer des combats quand vous pensez que nous exclure et nous dénigrer pour nos croyances les ferait avancer. Vous avez quatre heures.

Plus sérieusement, ce sont nos libertés qui sont en jeu, et pouvoir choisir en fait partie. Ce serait cool de se battre pour ça déjà.

Même si je ne sais pas si je porterai le hidjab un jour, j’ai fait le choix d’emmerder le monde et de vivre autant que je le peux parce qu’apparemment ma simple existence fait couler des larmes. Et ça tombe bien, j’adore la natation.

Prenez soin de vous et soutien aux adelphes, je vous aime.