Rassure-moi, dis-moi que je suis légitime

Le syndrome de l'imposteur. Celui qui te chuchote sans cesse que tu te mens, que tu n'as sûrement que de viles intentions, et que tout le monde autour de toi te croit à tort, car ce que tu es, ce que tu vis et ce que tu penses ne sont que des mensonges.

Quand on se questionne sur son genre, il arrive qu'on ressente ça. Dans mon cas ce fut un parcours du combattant pour m'affirmer que non, je ne suis pas une personne cis, que oui, je suis légitime de parler de mon vécu, et que non, ce ne sont pas des mensonges, ni des hallucinations et encore moins de la manipulation. Car la première victime dans ce douloureux processus de ce côté de ma facette, parce que normes, parce que peur du rejet et davantage d'exclusion, c'est moi.

Pendant je ne sais pas combien de temps, j'ai vécu dans une sorte d'angoisse, parce que c'était plus effrayant de se reconnaître dans quelque chose qui ne correspond pas à la norme, plutôt que de se dire qu'on s'est menti soi-même. J'avais vécu à peu près la même chose quand j'ai compris que je n'étais pas du tout une personne hétérosexuelle et monoamoureuse. Des fois je me demande si ce n'est pas le résultat direct de cette société qui ne veut pas nous voir. Comme l’hijab que l'on refuse dans de nombreuses situations parce que cela dérange de voir que les personnes musulmanes existent, ces doutes sont nourris pour qu'on se cache.

"Ce n'est que de passage". "Tu te fais des films". "Tu fais ça parce que c'est la mode". "Tu n'es pas vraiment queer, tu veux juste attirer l'attention".

Entre ces phrases et les injonctions normatives relatives à l'identité de genre, l'orientation romantique et sexuelle, on se retrouve avec un doute profond. Un des moments les plus compliqués dans ce parcours, c'est lorsque j'ai dû réfléchir sur tout cela. Bien sûr, faire un pas dans quelque chose qui sort des habitudes ce n'est pas rassurant, encore plus quand on nous éduque avec des idées conservatrices qui traitent tout ce qui sort de leur cadre comme quelque chose de bizarre. Quel est ce ressenti ? Depuis quand est-il là ? Est-ce que c'est réel, ou n'est-ce que temporaire ? Pourquoi est-ce que je ressens ça ? Tellement de questions qui tendent parfois vers une tentative de justification. Comme s'il fallait constamment se justifier pour exister. Comme si notre propre existence devait être justifiée. Et pour palier une véritable réflexion ou l'acceptation, parfois on attend de notre part ces justifications. "Prouve que tu es légitime".

Certaines personnes pensent que nous ne naissons pas par hasard, que nous avons un rôle à jouer dans cet univers qui nous entoure. Et souvent j'ai l'impression que ce rôle est forcément lié à ces autres rôles que la société nous impose dans les esprits, de manière incessante et autoritaire, car se dire que l'on ne sert à rien n'est pas rassurant. Il est tellement plus facile d'imposer des rôles qui servent à perpétuer des inégalités et oppressions aussi... Surtout quand on fait partie de groupes dominants.

Personne ne peut prétendre détenir la vérité absolue sur la nature de notre existence. Nous sommes juste là, nous vivons, et nous nous confrontons à une réalité que nous n'avons pas choisi. C'est un fait qui devrait suffire. Parfois on veut chercher d'autres raisons. Parfois on les trouve dans la foi, parfois ailleurs, parfois dans le simple constat d'un probable effet de circonstances logique et explicable.

Si nous trouvons autant de raisons d'exister, alors pourquoi s'acharner à trouver des raisons d'une non-existence ? Pourquoi vouloir se prouver que l'on existe pas, alors que nous sommes là, et pourquoi trouver des raisons qui vont à l'encontre d'une éthique que l'on entend dans toutes les bouches sauf pour défendre des minorités ? Peut-être parce qu'en plus de se nourrir des violences et de la marginalisation des minorités pour favoriser les groupes dominants dans un rapport de pouvoir, il est plus rassurant pour les personnes privilégiées de nier ces groupes qui s'affirment de plus en plus.

S'affirmer en défendant notre existence, ça leur fait peur, car cela remet en cause leur place dans la société, leur pouvoir, leurs privilèges, et même leur compréhension du monde en quelque sorte. Peut-être que je me trompe, mais c'est un ressenti. C'est pour ça, je crois, entre autres choses, que beaucoup se vexent, s'indignent quand on leur rappelle que leur pouvoir, leur dominance n'est pas légitime, mais que notre existence l'est. Que leurs pensées sont indignes quand elles consistent à défendre des idées inhumaines, à défendre des inégalités qui plongent des groupes de personnes dans de la souffrance, tandis que les nôtres craignent de moins en moins le questionnement, le changement, l'inclusion et l'acceptation.

Le doute, c'est un moyen de nous faire taire. C'est un moyen de nous obliger à nous cacher, voire à nous nier, pour ne plus se questionner, pour ne plus avoir d'autres horizons que les normes imposées. Le doute, au milieu des violences, dans mon cas, ça a créé une grande angoisse. J'avais peur de me nommer, de me montrer. J'ai cherché chez les autres l'affirmation que je suis bien moi, alors que ces réponses ne pouvaient provenir que d'une personne : moi-même. Qui d'autre que moi pouvait affirmer que je suis une personne non-binaire ? Qui d'autre que moi peut affirmer en quoi je crois ? Ou ce que j'aime ? Personne n'a vécu mes expériences, mes ressentis. Personne ne s'est posé les questions qui ont hanté, ou qui hantent encore, mon esprit.

Je me suis questionnée. Je me suis niée. Je me suis questionnée. J'ai cherché. J'ai trouvé des mots qui touchaient à ce que je ressentais. Je me suis de nouveau questionnée, je me suis cachée, et puis je me suis révélée pour ensuite m'affirmer. Certes, m'affirmer avec une crainte immense, comme beaucoup d'autres personnes, mais avec la certitude que je suis bien là, et que partager cette similarité avec d'autres me donne la force de surmonter ces violences intériorisées. Pas tout le monde n'est passé ou ne passera par là, ce n'est pas ça qui validera quoi que ce soit, surtout que je ne souhaite à personne de vivre autant de douleur ou plus.

Il m'arrive encore de vouloir poser la question aux autres : "Dis-moi, tu penses que je suis légitime malgré mes certitudes ? Tu penses que je suis légitime si je n'ai pas fait de transition médicale ? Si je n'ai pas changé de pronom ? Si je n'ai pas fait de transition sociale ou de passing ? Si je n'ai pas vécu de violences ?"

De nombreuses questions qui soulèvent des problèmes encore très présents dans les milieux queers et/ou militants. Même dans une même communauté on peut être rongé.e par le doute, et on ne décide d'en parler que lorsqu'il n'y a plus cette sorte de grille à cocher case après case pour être validé.e, pour dire qui est légitime ou non de parler. Finalement, le refuge qu'on se figure comporte lui aussi des problèmes, et parfois on décide de s'isoler car on sent qu'il y a un souci. Et mettre le doigt dessus c'est se confronter à d'autres formes de violences, alors qu'on voulait éviter d'en rencontrer davantage.

Que faire dans ce cas, à part faire preuve, peut-être, de bienveillance et d'aller au-delà des biais et diverses violences intériorisées ou reproduites ? Très franchement, je n'ai pas les réponses. Mais je dirai que pour bien commencer, ce serait bien justement de faire preuve de bienveillance. Parce qu'une fois confronté.e à ces questions, on peut vite se sentir très seul.e, et pendant longtemps des fois.

Je ne pense pas dire des sottises mais ça reste un regard subjectif et une partie de mon vécu tout ce que je dis là. Ça ne représentera jamais tout ce que d'autres personnes qui comprendront, ou qui se reconnaitront, ont pu vivre dans leur propre parcours. En tout cas ça fait du bien de pouvoir s'exprimer sur tout ça. Et si ces personnes passent, j'espère de tout cœur qu'elles vivront un bonheur sans limite et qu'elles passent de bons moments. Si vous aussi vous doutez sur votre légitimité, ou que vous vous posez des questions, je vous souhaite de trouver de la bienveillance dans votre entourage, familial ou amical, où vous pourrez discuter de tout ça sans avoir la peur au ventre.

Prenez soin de vous, et à bientôt.