ou comment penser l’anarchisme dans un autre monde!
petite (à l’origine) chronique aujourd’hui pour parler de a country of ghosts par Margaret Killjoy (petite note: j’ai lu l’édition de 2014 chez Combustion Books et il y a pas mal de coquilles, dont une que j’ai du mal à comprendre qu’elle ait pu passer entre les mailles éditoriales… aucune idée si le livre a été mieux corrigé dans la réédition chez AK Press…) livre qui sera bientôt dispo en français en août chez Argyll sous le titre “un pays de fantômes” et dont je tenais à faire une chronique un peu avant le déluge de critiques élogieuses que je peux voir d’ores et déjà arriver de la part d’autres anarchistes! car yup let me tell ya right now: ce fût une lecture très mitigée. (encore une, oui… décidemment!)
on y suit un journaleux borolien, du nom de dimos horacki, dépêché dans une chaîne de montagnes sur la ligne de front d’une guerre de guérilla dans laquelle borolia, un pays impérialiste en cours d’expansion et en quête de toujours plus de croissance ressources, est engagé contre, nous dit-on, des bandits montagnards. suite à une erreur de jugement de sa part, il se retrouve vite envoyé à sa mort par l’homme dont il devait originellement faire les éloges en vue de le montrer en héros dans son article et ainsi supporter les efforts de la propagande borolienne. de fil en aiguille notre journaleux passe très vite de l’autre côté du front, formé par une confédération d’anarchistes en tout genre en lutte pour leur survie et surtout leur mode de vie.
déjà un petit point bon à savoir: ça a été classé en fantasy et les distributeurs anglophones vendent ça comme de la fantasy anarchiste alors qu’il y a strictement aucun élément de fantasy si ce n’est qu’un élément clef de l’utopie, à savoir: le récit prend place dans un autre monde ; et c’est tout. ici, pas de supernaturel, ni de magie, ni quoique que ça soit d’autre d’un point de vue élémentaire, pas de physique différente de notre monde, quoi.
et c’est donc un autre monde reflétant énormément le nôtre, avec borolia et vorronia comme miroir de l’europe coloniale avec l’arrivée de la révolution industrielle, avec la relation entre borolia et vorronia en pays voisins dont l’un a été écrasé et subjugué par l’autre, qui reflète pas mal de pays, entre autres la france et l’allegmagne durant les deux guerres mondiales, et enfin on peut voir hron comme un reflet de la confédération des peuples natifs d’amérique du nord…
tout d’abord on sent qu’un boulot de réflexion a été accompli au niveau du worldbuilding quant à la normalisation de l’acceptation et l’intégration sociale des personnes queers et qu’on peut voir encore plus idéalisée du côté de la confédération anarchiste… au point d’en devenir une eutopie vaguement hopepunk (d’où le titre de cette chronique) cependant, le worldbuilding aurait mérité d’être plus approfondi, du côté social et anarchisme justement, mais aussi environnemental.
d’un point de vue narratif, on suit le schéma assez classique de l’utopie avec un protag extérieur qui part en utopie, bien qu’un peu accidentellement dans le cas présent. je note aussi la présence d’un gros cliché que pour une raison ou une autre je ne parviens pas à identifier de façon nette… peut être était-ce le cliché de la vengeance envers un traître? et puis il y a ce que j’ai nommé ailleurs le coup de bilbo que je ne trouve pas très super ni bien exploité ici ; l’idée est clairement inspirée/pompée de/sur bilbo de tolkien, à savoir: le protag est blessé et perd conscience en plein combat, ce qui donne lieu à une ellipse narrative/temporelle, nous épargnant/évitant ce qui aurait pu être une description (trop) détaillée ou superflue dudit combat. enfin, l’histoire en soi aurait pu bénéficier de plus de place pour explorer les choses à fond car on reste souvent en surface, on ne fait que survoler les relations et la caractérisation des persos, et pour aussi simplement respirer car on a pas de véritables temps morts, c’est très axé action et on passe d’un incident à l’autre sans trop développer les enjeux. ce qui fait qu’on dirait plus une nouvelle rallongée qu’un roman.
aussi, j’aurais voulu adorer ce livre mais, et c’est là que le mât penche très dangereusement à titre perso, l’idée de base de hron et le fait de situer cette confédération dans une chaîne de montagnes (même pour une bonne raison narrative et pratique) me rappelle beaucoup trop la zomia, ce qui me fait l’effet que le livre de killjoy est une version/application roman(c)ée de la zomia, un concept-amalgame quelque peu foireux dont james c. scott a tiré un livre “zomia ou l’art de ne pas être gouverné” (the art of not being governed: an anarchist history of upland southeast asia) exemple d’anthropologie anarchiste blanche assez controversé… ce qui nous donne au final une vision possiblement toute occidentale de l’anarchisme dans ce roman.
en résulte en somme le reflet idéalisé (romantique/romantisé presque) d’une eutopie en marges subissant (littéralement) les assaults d’un empire colonial, sûrement trop affamé de croissance pour que l’utopie puisse espérer y résister dans le long terme. une histoire qui au final ne “challenges”/défie pas tant que ça “every premise of contemporary society” contrairement à ce qu’indique le quatrième de couv de l’édition anglaise… qui plus est on reste vraiment dans le pur exercice de pensée de l’utopie, sans trop d’égards pour le développement de l’histoire et du monde fictionnel, et celui-ci est peut-être trop semblable au nôtre. (à la limite de la contre-dystopie)
sinon, ça se lit très vite, on voit pas le temps passer et le style est limpide (peut être trop peu remarquable et/ou pas assez poétique à mon goût) malgré les coquilles dont je parlais plus haut, et c’est très clairement inspiré d’ursula k. le guin, entre autres.
niveau d’emmerdement: ben, comme je viens de dire, ça se lit vite… peut être bien quand on s’emmerde donc! 0 à 2 / 10
note générale: 5 à 6 / 10
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