…si je n’ai pas oublié de. Si je n’ai pas oublié de la porte et de la fenêtre, du gaz et de l’électricité, du courrier et des courriels, de la radio et de la télé, de l’enregistrement et de la sauvegarde. Si je n’ai pas oublié si sous un mot… je n’ai pas oublié quelque chose. Une fatigue nerveuse enflamme mon corps, m’oblige à prendre des raccourcis. J’ai rendez-vous sur des chemins de neurones, sur une constellation de matière grise.
La mémoire peureuse qui secoue les os, et le souvenir se glace sous la coulée volcanique de la pensée.
Fatigue infinie de la pensée et de la mémoire, le corps rigidifié au milieu du vide, les yeux trop occupés pour regarder, avec la moindre attention, quoi que soit.
Douleur paroxystique de l’oubli, car déjà il arrive, le prochain souvenir, il file à grande vitesse et depuis le train de ma pensée, je le vois par la fenêtre, ce souvenir, cet arrêt, cette station ; cette gare fourmillante, lumineuse, si brève que je n’en perçois que l’écume de ses possibilités, que j’oublie et que je dois impérativement me souvenir de ma destination. Il existe en moi de rares lieux de paix, sans souvenir ni oubli. Mais maintenant ? Il me faut quelques mots, une image peut-être, pour extraire la mince sève odorante du souvenir, pour soutenir ma pensée par une volonté appliquée1. C’était quoi ? Ah ça y est ! Je m’en souviens.
Un monstre me gratte l’arrière de la tête, j’essaye de l’écraser comme un vulgaire moustique, mais rentre dans mon cerveau et creuse des sillons, où une eau amniotique n’en finit plus de couler. J’enfante des torrents de pensées et de souvenirs.
C’est tellement silencieux, ici, tout près de moi, que le moindre craquement de ma conscience fait un boucan à réveiller les morts.
J’aimerais faire de ma pensée, un bon usage. Posons cette première question, qui me semble primordiale : où mettre ses pensées ? Cette première question en appelle d’autres : doit-on classifier, compter, archiver, documenter, dater ses pensées ? Si parfois le besoin d’économiser ses pas et son souffle se fait sentir, faut-il pour autant économiser sa pensée ?
Un jet un mouvement expiratoire pour libérer le plexus.
Se sentir page se sentir écran
tout banc, tout vide.
sous l’eau froide c’est l’extinction des feux.
J’aime beaucoup les portes ouvertes sur des grandes pièces vides, je trouve cela apaisant. Je connais bien cette douleur aiguë, persistante, infinie de la pensée. Je vis avec elle, comme avec un animal de compagnie, un chien, un chat, une présence dont il faut s’occuper régulièrement : faire sortir sa pensée, promener sa pensée, faire uriner sa pensée, donner à manger à sa pensée, je pourrais lister tout ce que je devrais faire de ma pensée, mais il y a une limite, je dois veiller à ce qu’elle ne se retourne pas contre moi.
1 : morceau piqué à Antonin Artaud.
Crédits photos : Pain Killers par Kurtis Garbutt CC-BY-SA 2.0 Source : Flickr
]]>Je me souviens du collège Jacques Prévert, du gris partout qui entourent des carrés noirs et saumons pâles, horrible architecture, le gris, la couleur grise, écrire en marchant la nuit – où tous les chats sont gris. -
le fer forgé, les voitures, les pots d’échappement, les pares-chocs, la fumée, les pneus brûlant, les poteaux qui font l’électricité et ceux qui font la signalisation, les piles des ponts, les grandes pancartes pour les élections, les trottoirs, les cailloux, les graviers, les gravières, les rochers, les pierres, la pyrite, des plantes acides qui poussent dans les fêlures du minéral dans les friches industrielles, les arbres morts, les arbres calcinés, les forêts qui brûlent, les cigarettes, les bûches à demie brûlées de l’intérieur, le gris brillant des cendres, le gris blanchi des cendres, le gris clair, le gris foncé, le gris plus clair, le gris plus foncé, le gris très clair, le gris très foncé, le gris s’approchant du blanc, le blanc avec des nuances de gris, le gris presque noir, le noir avec des nuances de gris, le gris entre gris clair et gris foncé,
les quartiers HLM, les dalles urbaines, les fausses couleurs sur les façades, les sculptures, les gargouilles et les bacchantes, les centre commerciaux, les parkings à ciel ouvert, sous-terrain ou en hauteur.
Les villes, les métropoles, les mégalopoles ceinturés de routes périphériques.
Le ciel, les nuages et leurs ombres sous la pluie, la tempête et l’orage tempête ; le temps qu’il fait, la météo, la grisaille - c’est grisâtre, maussade, triste.
- Une voiture passe, une voiture toute option, gps et couleur gris métallisé. -
Astéroïdes, couleur d’étoile, morceaux d’étoile, gris lune, béton soleil, goudron soleil, gris rêve, gris qui étouffe.
Je suis rentré chez moi, les miroirs, des photos en noir et blanc, des visages qui sortent du gris, les portes des placards, ma collection de soldat de plomb, gris, le métal, le plomb fondu, l’armure du chevalier, lame, poignard, dague, hache, masse d’arme, épée à deux mains, épée longue, katana, armure de décoration, gris, l’immeuble d’en face, l’éclairage nocturne,
Codicille : j’aime beaucoup cet exercice d’accumulations. Par intuition et par envie, j’avais écrite cette accumulations avant le début de l’atelier. Elle traînait bêtement dans mes carnets, j’ai coulé ce gris ici, elle a encore grossi.
Codicille Coulisses : Ce matin j’écoutais une émission sur France Cuture qui parlait de la photo de Kim Phuc (1). Puis j’ai lu l’accumulation de Catherine Serre (2). Enfin j’ai ajouté un clin d’oeil à un blog que j’aime beaucoup (3).
1 https://www.franceculture.fr/emissions/la-culture-change-le-monde/cinq-photos-revelatrices-55-la-petite-fille-au-napalm-de-nick-ut-une-photo-peut-elle-arreter-une
2 https://www.tierslivre.net/ateliers/p2-casser-toutes-les-voitures
3 https://www.affordance.info/mon_weblog/2019/09/amazonia-is-on-fire-foret-incendie.html
Bonjour Monsieur, vous avez votre réservation ? Non ? Il faut réserver par Internet ou appeler avant. Vous comprenez ? Vous avez appelé et ça n’a pas marché ? réessayer pendant les horaires de fermeture sinon on est trop occupé à accueillir les gens. Bon pour cette fois ci, ça passe, mais la prochaine fois, faut réserver, vous comprenez ? Votre prénom, nom, email, numéro de téléphone ? Comment ? Vous pouvez donner du faux. Vous pouvez nous mentir. Nous ne sommes pas assermentés, mais on doit remplir des tableaux, vérifier les chiffres, noter tout en cas de problème, vous comprenez ? On a des comptes à rendre, vous comprenez ?
À la caisse
Vous habitez quelle commune ? Si vous habitez ici, il y a une réduction. Il faut un bonnet de bain, une pièce de un euro ou un jeton de caddie, les casiers des vestiaires sont fermés, il faudra utiliser les casiers autour des bassins, vous comprenez ? Notre site Internet ne marche pas ? Le numéro de téléphone sur pagesjaunes.fr n’est pas le bon ? Il faut vous adresser au siège de la communauté de communes. Ici on accueille les clients, on ne gère pas la communication et l’informatique, on a beaucoup de travail, vous comprenez ; ce n’est pas dans nos missions.
Vous n’avez pas de bonnet de bains ? C’est obligatoire, c’est le règlement, vous comprenez ? On en vend pour deux euros. Oui, c’est le logo de la communauté de communes. Vous avez cinq couleurs : bleu, vert, jaune, orange, rose. Vous voulez lequel ? C’est pour distinguer les piscines du coin, vous comprenez, on appelle ça le marketing territorial.
Dans le couloir
Il faut prendre une douche avant d’accéder à l’espace des bassins. Il faut retirer vos chaussures avant d’accéder aux vestiaires. Il faut garder votre masque jusqu’à la douche. C’est pour l’hygiène et la sécurité, vous comprenez ?
Dans le vestiaire, après la baignade
Monsieur, ne passez pas la barrière, respectez les chicanes. Là c’est pas grave, je vous laisse faire, mais la prochaine fois faites attention. Comment ça… ça ne change rien ?! Oui, il n’y a personne ici, que vous et moi, mais vous comprenez, il faut respecter les règles. Non les douches ne sont plus accessibles, on ferme bientôt vous comprenez. On veut éviter la concentration des gens dans un espace clos, vous comprenez ?
À la maison, au téléphone
Vous avez une requête pour la piscine communale ? Il faut contacter le service équipement. Ils sont ouverts les lundis et les jeudis. Vous allez vous plaindre sur Internet ? Des avis négatifs sur les pages jaunes, Google, et Facebook… mais nous, monsieur, on ne fait que suivre les règles, vous comprenez ? Quoi les bonnets de bains ? C’est une décision du conseil communal, demandez à votre maire.
Codicille : On ne vous demande même pas de comprendre, on vous demande de faire semblant, on vous demande de consentir. « Une information, c’est un mot d’ordre. » Gilles Deuleuze.
Codicille : incongruité pourtant bien réelle du pain d’épices.
Dans la maisonnée, le jardinier est souvent un cuisinier qui s’ignore. Choisir les graines, c’est choisir ce qu’on mangera. Courges, potimarrons, butternuts, concombres, melons, courgettes, citrouilles, potimarrons, patidou et patison, la famille est grande. L’erreur du débutant consiste à planter des courges de Nice, une variété qui produit des légumes obèses et aqueux. La culture est patiente, l’art multiple. Les mains du jardinier ont l’interprétation approximative des conseils du grand-père ou des livres. La cuisine est maison. Les courgettes naissent dans des fleurs jaunes et poussent à même le sol. Les branches des plants dépassent la terre et viennent courir sur la pelouse. Il faut beaucoup d’eau et de soleil pour gorger le légume de vitamine et d’énergie. Un long bain de lumière pour un court bain d’eau ou d’huile. Le jardinier devra choisir les meilleurs éléments, jouer avec la terre, l’eau et la paille. Compenser les pénuries, éviter les trop, nettoyer l’acidité du chiendent. La récolte sera bonne pour qui a bien soigné la terre. La pousse peut-être enrichie par du purin d’ortie, des feuilles de consoudes, des peaux de bananes séchées et le magnésium des coquilles d’oeufs écrasées. En première ligne, le jardinier aura tôt fait de découvrir les variétés et les couleurs. Vert foncé, jaune, dégradé de vert, rayures verts foncés et verts claires. Le jardinier est rarement seul, l’apprentissage est collectif et se fait par la pratique. On oublie le sens de la mesure, on a appris à cultiver en lasagnes, il y a des courgettes en nombre, en quantité, il y en a trop et trop souvent, les plants ont beaucoup donné. Les cuisinières râlent : on ne va pas manger des courgettes toute la semaine ! Alors on offre des légumes aux voisins et aux amis, un cadeau prosaïque d’hôte pour remplacer les bouteilles de vin et autres chocolats.
Certains soirs m’offraient du réconfort. Je rentrais à pied du travail en début de soirée dans la lumière vive de l’été. Si je rentrais chez moi, je ne voulais pas revenir dans cet appartement au deuxième étage, dans cette petite chambre, entouré de colocataires à qui je n’avais rien à dire. La situation, les gestes, les moments, le déroulement étaient invariablement les mêmes. D’abord j’étais rassuré, quand à une dizaine de mètres sur le trottoir, j’apercevais Thomas attablé au balcon du rez-de-chaussée. Je gravissais les quelques marches qui menaient à la porte d’entrée et déjà c’était entendu, je pouvais à mon aise grimper sur le balcon. Thomas me servait un pastis de sa Marseille natale. Quand j’y repense maintenant, on naviguait entre deux eaux, la mélancolie et la joie. On ne disait rien de bien intéressant mais nous aimions nous tenir compagnie. On se baignait doucement dans le jaune alors que le soleil déclinait. Maria venait nous saluer vers 19h30 et soudain sans autres explications il était déjà 20h30 et nous étions une dizaine entassé sur le balcon. Québécois, béninois, arabes ou uruguayen. Nous étions quelque part sur terre. Le boulevard s’appelait Saint-Joseph. Nous étions appelé à l’intérieur de l’appartement par l’odeur. Maria était végétarienne, elle s’attelait à cuisiner des pattes aux courgettes. C’était parfois des spaghettis, parfois des pennes et on ne savait pas d’où venait les courgettes. Des courgettes et des pattes industrielles, dans cette grande ville, c’était nécessairement suspect. Un plat de pauvre, d’étudiant, un plat de rien, quelque chose de simple et vite fait. Un plat mondial, trouvable partout dans notre civilisation occidentale du blé. Ça n’avait l’air de rien et pourtant. Nous étions trop occupé à palabrer pour aller dans la cuisine. C’était le cadeau de Maria, par pur plaisir, tous les quinze jours à peu près. Une fois Pierrot, qui la draguait, a bien essayé de l’aider. Le pauvre, il n’a pas tenu deux minutes. Maria savait y faire, comme on dit chez moi. Le secret je crois, c’était la découpe des légumes. Elle éminçait finement les courgettes. Des lamelles si fines qu’une fois cuite elles se décomposaient dans une nouvelle forme, entre l’état solide et liquide, et donnaient toutes leurs énergies. Pour la cuisson Maria donnait aux pattes une texture toute napolitaine, la mer et le volcan, une application nécessaire et suffisante aux temps. Le temps fondait sur les pattes. Mais dans la bouche, on ne savait pas, on ne savait plus car les courgettes fondaient sur les pattes, à moins que ce ne fut l’inverse. Chaque bouchée apportait un plaisir aérien et la satisfaction terrestre de se remplir le ventre. Que mangeait-on ? Des pattes aux courgettes ou des courgettes aux pattes ? La spécialité de Maria, on les appelait les pattes Saint-Joseph. Un plat en souvenir de certains soirs d’été quelque part sur terre.
Codicille : entend-t-on bien ce que le texte ne dit pas ?
Liens vers la consigne : Ryoko Sekiguchi, les doigts dans la bouche
]]>Corrigez ou contribuez à ce texte (pendant une semaine) : https://hebdo.framapad.org/p/e58ecpj9itexteaurelienmartytierslivrectarkos-9oh9?lang=fr
Liens vers la consigne : Les accumulations de Tarkos
]]>le deuxième soir, sa copine est venue, ils n’ont pas tardé à faire l’amour ; ça m’a aidé à dormir, je crois
marguerite jaune pétales orange sur fond vert et marron, je crois que c’était le papier peint, je me sentais bien là, loin de tout, à 400 kms de mes ennemis d’école
Ils ont disparu pendant une heure tous les deux dans la dernière pièce au fond de la maison, puis ils sont réapparus l’un après l’autre pour prendre une douche
Comme le sommeil se dérobait, elle veillait sur nous comme une louve, depuis ma petite chambre d’enfant, je sentais le parfum de ses cigarettes à la menthe, depuis sa fenêtre, elle observait quelques bouts de ville.
Dans la chambre à coucher des parents, il y a du bruit, mais il ne faut pas parler de ces choses-là.
Okapi des années 70 de ma tante, collection bibliothèque verte et rose, Fantomette et le Club des cinq, les Livres dont vous êtes le Héros, je lis en voiture. Tout est bon pour faire plaisir aux parents et s’endormir.
Insomnies. De plaisir. De joie. De fête. De doutes. De tristesse. De dépression. De solitude. D’exploration. D’errance. De recherche. Cerveau brûlé.
Je crois qu’il y avait un tigre, un dragon, un phénix et un éléphant, je n’ai aucun souvenir de ces boîtes de thé, de leur goûts, de leur place, mais je les ai prises en photos, toutes les quatre les unes sur les autres. Qu’avais-je mis en déco sur les murs ?
Insomnies. A Tours. A Montréal. Dans le Forez. Insomnies. Quand j’étais enfant. Au lycée. Aux études. Pendant les périodes de chômage.
1456 blvd Saint-Joseph. Elle était si gentille, elle me donnait tout, ma nuit était trop épaisse, sa lumière trop forte, je ne pouvais pas supporter.
Insomnies. 1456 blvd Saint-Joseph. J’erre dans le salon. Le jour s’est levé. La porte s’ouvre. C’est elle. Je l’avais oubliée.
Je m’enfonce dans le canapé, je serai le dernier à dormir, comme toujours. J’ai de la chance, j’ai des amis et j’aime les gens.
Liens vers la consigne : Pérec, lieux où j’ai dormi
]]>les yeux grands ouverts, je regardais le vide, je comptais le trop ; le nombre de fois où, les chemins mal embarqués, les oublis, les absences, j’ai vu la nuit s’épaissir puis s’évanouir,
Seul sur une presqu’île, habitant solitaire des hautes herbes et du bord de mer, j’avais trouvé le silence, ou plutôt l’illusion du silence,
à 6 ou 7 dans la même tente, c’était parfois dangereux, enfiévré, je voyais mes amis se transformer en géant. La promiscuité, le parfum du dehors, l’hygiène adolescente, c’est là que nous avons grandi, ensemble.
5 h du matin, tombe sur le près la lumière blafarde et la rosée humide sur l’herbe, j’ai 14 ans, pour quelques minutes, je l’ai tenue dans mes bras
le sol est frais, la lumière ne faiblit pas, l’orage et le tonnerre me rassurent.
Tente canadienne, sac de trente kilos, tapis de sol, toit, double-toit, maquereaux aux angles, sardines tout autour. Attention ! faudrait pas se faire démâter
le corps est chaud, les muscles ont travaillé, le sommeil sera bon, demain recommencer
le fruit défendu, les exploits imaginaires, les histoires que l’on se racontent, les chansons paillardes, les bêtises des garçons.
Où était le camp ? Quelque part en Savoie, j’ai oublié le nom du patelin, Saint Machin sur Truc, un nom à rallonge. Mes photos prisent au jetable traduisent mal la topographie des lieux. Je me souviens d’un petit plateau surmonté d’un cimetière où nous prenions nos douches.
j’avais marché avec elles toute la journée, je n’avais jamais fait de camping traditionnel auparavant. Elles ont vite enfilées lunettes de soleil et maillots de bains, pour se tremper les pieds dans la rivière,
Liens vers la consigne : Pérec, lieux où j’ai dormi
]]>Liens vers la consigne : 100 mots et de l’eau (prologue aux ateliers)
]]>Liens vers la consigne : 100 mots et de l’eau (prologue aux ateliers)
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