“C’est possible, on fabrique, on vend, on se paie !”, ce slogan en bannière de ce billet de blog était affiché sur la devanture de LIP, une entreprise fabriquant des montres. Dans les années 70, LIP a été le théâtre d’une expérience marquante : suite à des problèmes financier, l’usine est récupérée par ses employés qui y repensent l’organisation du travail. Encore aujourd’hui, on parle de LIP comme dans cet édito de Lordon ou encore cette capsule vidéo de France Culture.
Le mode d’organisation alternatif promu par les employés de LIP, mais aussi par beaucoup de d’acteurs du siècle dernier, est souvent désigné sous le terme autogestion. L’autogestion, comme alternative au management et à la doxa majoritaire de l’organisation du travail, m’a semblé être un bon point de départ pour penser des organisations plus justes. Ce billet de blog a pour modeste objectif de vous partager deux de mes notes de lecture sur le sujet, où j’essaye d’extraire les enseignements que l’on peut tirer de l’autogestion et de ses différentes mises en œuvre.
Autogestion hier, aujourd’hui, demain
C’est une note de lecture de Christian Vaillant à propos du livre Autogestion hier, aujourd’hui, demain. Parue en 2010 dans la revue scientifique Recma (Revue International de l’économie sociale), l’auteur constate que le livre est en décalage avec le débat alors actuel de l’évolution de l’économie sociale vers l’entreprenariat social. Là, je ne peux m’empêcher de penser à l’ESS, l’économie sociale et solidaire, les SCOP, les SCIC, et je crois qu’on tient peut-être une ficelle pour relier l’évolution de la pensée, des utopies de l’autogestion, et ce peut-être jusqu’au social washing de Danone qui prétend être une “entreprise à mission”…
Note : l’article “En voulant faire le bien, le business social détruit le lien” propose une critique de l’entreprenariat sociale à la lueur de l’économie sociale par le directeur de la revue Recma.
Passé ce détail, l’auteur de la note présente le livre comme un recueil de témoignages, pas spécialement historique mais plutôt bien fourni. Des expériences qui ont plutôt eu lieu “ailleurs et avant”, en tout cas bien plus que “ici et maintenant”. L’auteur note que si le cadre juridique actuel en France est bien compris et critiqué par les auteurs, le livre fait l’impasse sur les acteurs actuels et leur organisation.
Du côté du cadre théorique, si le livre est plutôt positif vis à vis des coopératives (de production), il partage les mêmes critiques que Rosa Luxembourg (une critique du concept je crois) : la coopérative ne peut exister dans un système capitaliste, en effet soumise à la concurrence, elle ne pourrait faire subir à ses membres que le même sort que celui des travailleurs de l’entreprise capitaliste. L’auteur de la note invite à nuancer cette observation, et note également que si le concept Marxiste d’aliénation est évoqué, il n’est pas vraiment creusé.
L’intérêt de ce livre réside peut-être plus dans sa note de lecture que le livre lui même : las du manque de ressources contemporaines, l’auteur de la note en égraine plusieurs : le Réseau Repas, Godin, inventeur de l’économie sociale : mutualiser, coopérer, s’associer, Autogestion.coop et sa SCOP La Navette qui semble participer à l’édition d’un magazine nommé Associations mode d’emploi
Le livre discuté est disponible chez les éditions Syllepse. Mais peut-être pas vraiment la ressource dont on a besoin maintenant…
La tyrannie de l’absence de structure
L’autrice, Jo Freeman, partage son expérience au sein du Mouvement de Libération des Femmes étasunien dans ce texte intitulé “La tyrannie de l’horizontalité”. Le texte de Freeman nous explique les limites, selon elle, de la structure spontanée et anarchique du mouvement et propose des solutions. Ce texte suscitera plus tard une réponse critique de l’anarcha-féministe Cathy Levine : La tyrannie de la tyrannie.
De sont point de vue, il n’y a pas de groupe avec ou sans structure, mais seulement avec des structures formelles ou informelles. Le problème avec les structures informelles c’est qu’elles masquent le pouvoir en ne disant pas leur nom. Par la suite, l’autrice présente deux archétypes des structures informelles qui émergent souvent : l’élitisme et les stars.
L’élitisme est définie comme un petit groupe de personnes qui agissent fréquemment sans le consentement ou la connaissance d’un plus grand groupe. Elles rappellent que ces élites ne sont pas des conspirateur·ices mais des petits groupes d’ami·es, qui communiquent en dehors des canaux de communications de l’organisation.
Les stars quant à elles répondent à un besoin de notre société d’écouter un groupe cohérent et non un ensemble de personnes avec leur individualité. Pour cela, l’autrice retient trois grandes formes utilisées par les médias et les gouvernements pour écouter un groupe : le vote, le sondage et les portes paroles. Dans un groupe sans porte parole, des personnes émergeront en contact avec la presse et deviendront de-facto des portes paroles.
L’autrice énumère ensuite les nombreuses limitations de l’élitisme et des stars. Pour les stars, ces personnes non désignées par le groupe n’ont pas de compte à rendre à ce dernier, et peuvent en retour souffrir de critiques (justifiées) émanant du groupe. Pour les élites, l’autrice cite des guerres de pouvoir et une inefficacité certaine.
Pour terminer, l’autrice propose 8 principes pour une structure démocratique, que je me réapproprie ici :
- La délégation démocratique d’un pouvoir limité, pour des tâches délimitées, à une ou des personnes compétentes
- Les personnes qui ont reçu du pouvoir sont responsables devant les personnes qui lui ont donné : ce dernier peut donc être révoqué
- Disperser le pouvoir entre un grand nombre de personnes afin d’éviter les monopoles
- Rotation des postes assez souvent pour que le pouvoir ne soit pas approprié, pas trop souvent pour que les personnes puissent monter en compétences
- Donner le pouvoir aux personnes qui ont les compétences et non par sympathie, favoriser une formation préalable plutôt qu’un apprentissage sur le tas
- Diffuser l’information à tout le monde, à l’intérieur et à l’extérieur. L’information c’est le pouvoir.
- Accès égalitaire aux ressources, les compétences et les connaissances sont des ressources
Vous pouvez retrouver une analyse de ce texte au format vidéo par la vidéaste GameOfHearth.
Et nous, on fait quoi ?
Que ce soit Lordon dans son édito ou Jo Freeman dans son texte “La tyrannie de l’horizontalité”, les deux donnent des arguments convaincants que l’absence de structure revient en réalité à l’émergence d’une structurelle informelle pernicieuse, car c’est un pouvoir qui ne dit pas son nom.
Plutôt que de mettre en opposition l’absence de structure et la présence de structures rigides, il parait bon de se questionner sur les domaines qui requièrent une structure, de nous coordonner, de mutualiser nos efforts. Et pour quels autres domaines, nous n’en avons pas besoin ou ne souhaitons pas en avoir.
À la constitution de Deuxfleurs, nous souhaitions mettre en commun nos infrastructures sous une même bannière. Par exemple, il a été décidé que nous mutualisions la communication sous l’étendard “Deuxfleurs” d’un côté mais, de l’autre, nous gardions nos machines et notre manière de les gérer. Depuis, les choses ont évolué mais il est toujours possible de définir ce qui est mutualisé, ce qui est partagé (adopté par certains mais pas par d’autres) et ce qui reste individuel. Si il est possible aujourd’hui de classer notre activité dans ces 3 catégories : mutualisé, partagé et individuel, nous n’en avons cependant aucune trace écrite.
Pour ce qui est de la mutualisation, les bases de Jo Freeman me semblent très saines. Nous pourrions baser notre mode d’organisation sur ses 7 règles.
Par exemple, pour un logiciel donné, nous pourrions choisir un·e coordinateur·ice / mainteneur·se / responsable selon la règle 1 et la règle 5. En cas de problème, révoquer son rôle selon la règle 2 (il ou elle pourrait toujours continuer à développer de son côté). Faire attention à que cette personne ne soit pas coordinatrice de tous les logiciels, de toutes les machines et en plus au conseil d’administration selon la règle 3. Tout le monde mais spécialement chaque coordinateur·ice devra veiller à créer le plus d’information possible sur ses intentions, sur ses choix, et à transmettre ses connaissances : si chaque choix ne peut pas être débattu, il est important de définir et communiquer clairement et extensivement les objectifs et de s’assurer de faire émerger un consensus selon les règles 6 et 7.
En conclusion, le premier article nous ouvre des perspectives vers des structures qui n’ont pas fait le choix du fonctionnement d’entreprise traditionnel. Le second article, quant à lui, nous propose des grandes lignes pour s’organiser quand, et seulement quand, on a besoin de mutualiser notre action.
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