Les passages entre guillemets sont extraits de mon journal intime tenu durant ce temps là. Par respect je remplace les noms par des initiales.
TW : Ces extraits évoquent parfois des pensées noires, de la maltraitance médicale, de tout et rien. Cette première partie est sur le début d’hospitalisation et comment je l’ai vécu et survécu au fil des jours.*
21 avril Je ne me souviens pas du premier jour. Un mois et demi de combat avec moi-même sur ce qui était sûrement une phase mixte : symptômes dépressifs alternés de grandeur et d’impulsivité extrêmes, entre autre.
De ce que l’on m’a expliqué je me suis levé tard ce jour là, tôt les jours d’avant. Je me souviens juste : réserve l’hôtel, prend ces boîtes de pillules, un rasoir. Instinct de survie, j’envoie à mon psychologue un sms d’adieu :
“Je ne sais pas quoi faire aujou’dhui. Soit tout lâche soit je lâche. J’ai aligné une partir des anxios j’ai des boîtes en trop. Cette nuit j’ai juste éteint le cerveau. Je ne suis pas désolé je charge un appartenant vide suite à demander un hôtel. Eteindre et disparaître. Il me manque quelques boites à chercher. Je déteste ce message”
Il y a des fautes, oui, c’est le vrai sms. J’étais dans des états visiblement pas possibles. Je plante devant mes médicaments longtemps, somnolent, je reçois 20 minutes plus tard :
“Le samu vous appelle”
Je dis merci.
Je donne le samu à ma colocataire, le psy essaye de me faire parler, ancrer, puis m’aider à faire mon sac : ça fonctionne. Je perdrai deux jours de mémoire sous tercian. La suite de l’histoire est basée sur mon journal intime et nos souvenirs.
24 avril, 14h23
“C’est comme si 10 jours étaient passés. Mais seulement cinq. J’ai réussi à appeler le psychologue au lieu de me suicider. Puis SAMU, une nuit là bas puis ici à dormir. A abandonner, à me dire je rentre et je le fais. Je dois me reprendre.”
Cette entrée était quand j’étais aux cèdres. Ici, c’est le secteur fermé. Celui où une chambre spéciale est réservée comme une prison à celleux qu’on doit attacher. Au cours de mon séjour elle prend différent noms de la bouche des infirmiers selon ce que l’on veut faire miroiter : chambre d’isolement, chambre d’apaisement. Moi, je la vois comme une chambre de torture. Filmée, vide, deux portes qui séparent du reste des autres. Je retrouve le grand couloir dans lequel je fais des allers retours. Personne ne me parle et je ne parle à personne.
Deuxième entrée, 19h20
“Quand les résultats tomberont**, mon tél sera en charge jusqu’à demain. Comment je me sens ? Comme s’il était l’heure de mourir. Et j’ai de quoi percer la peau. Je ne veux pas le dire. Je veux pouvoir m’en aller. Aujourd’hui ? Mangé, dessiné, sport. J’ai envie de crever. Je peux me lever et tout, sans envie de vivre. Inventaire : lacets, sac hermétiques, aiguille, eau.”
**contexte électoral en France
25 avril, 15h04 “La nuit a été longue. 3h d’insomnie, repos, hallucination, insomnie. […] Bref, début de journée dans la fatigue. J’ai vaguement fait du port, j’ai attendu le Dr S. je n’ai pas aimé son comportement : froid, pas à l’écoute. Il a l’air sceptique de mes oublis et changements d’humeurs, je n’ai même pas pu dire “phase mixte”, il me coupait sans cesse. D’accord, j’ai menti, hier je voulais crever. Je veux pas rester ici donc j’ai menti. J’ai donné l’autorisation à mon psychologue d’appeler ici. Mon psychiatre extérieur avait lui reçu une lettre. Je me suis excusée auprès de ma colocataire et elle n’est pas restée seule. Apparemment je lui ai donné mes anxios et mon psy m’avait gardé au téléphone […] je ne me souviens pas bien. Si je m’ennuie trop demain je peinds les conneries de Rousseau, au café. Ses confessions à la noix.“
18h18 “C’est comme s’il s’était passé 6 heures depuis tout à l’heure. C’est absurde. Il ne se passe rien. Contrairement à mon précédent séjour les gens sont seuls, repliés, livrés à eux même. Je vis mal chaque nouvelle intéraction, un goût de “Tu me veux quoi”. Alors bon je dessine ok. Je lis un peu, communique avec l’extérieur et parcours mille lieux. Heureusement pour moi j’ai la patience. Mais ce serait plus simple, avec du contact humain. Ou de la musique. Mais je ne peux charger la batterie qu’une fois par jour. […] Il y a cinq jours manquants juste avant la crise qui m’a amené ici. Avant ça faisait quelques jours que je m’accrochais aux branches. Je ne comprends pas“
20h14 “I. je crois. Elle part vendredi. Elle est très différente des autres. Ce n’est pas un mal, mais ça la rend très incomprise. Ce qui m’avait marqué, c’est qu’elle avait vu le chat et l’avait viré du radiateur. Elle ne l’aime pas. Elle dit qu’il vole les couleurs de sa couverture. Sacré argument. Aussi hier une patiente m’a demandé “homme ou femme” puis décidé femme. Aujourd’hui en short court, une autre “J’arrive pas à savoir si t’es PD ou femme, t’es PD ?”
- Peut-être !
- Ah je sais pas !
- Qui c’est !, j’ai conclu. J’entends derrière “Si tu veux savoir il faut regarder dessous quand…” la fin m’échappe. Vraiment les Cèdres il y a un an c’était une meilleure troupe.
21h30 “Demain je dois dire au Dr S que ma lithiémie est basse et que je refuse de l’augmenter à cause de la prise de poids et l’anorexie, et par conséquent en continuer la prise serait absurde. Accessoirement je déteste être ici, au secours, merci bien, au revoir.”
A ce moment je note cela pour ne pas l’oublier le lendemain et réunir du courage de contredire “l’autorité” sur le traitement.
26 avril 7h12 “Réveillé tôt, 5h30 ce matin. Mon sommeil diminue. Entre ça et les petites hallucinations, des impulsions à se blesser, je me dis que la phase mixte tient toujours. J’ai déjà fait mon sport et commencé l’intro de Dracula. Il parait qu’il y avait une fiction lesbienne de vampires avant ça. J’ai dessiné au sharpie sur mon bras en m’endormant, j’ai bien tâché le lit.”
8h49 (sarcasme) “Ça va pas besoin de me soigner en fait. Je suis calme. Pas vraiment anorexique. On adapte pas mon traitement. Bouffon. Je te hais mange tes entrailles. Ça te va le calme là ? Salaud de gatekeeper. Tu sais ce que ça fait de grandir meuf ? Tu te la fermes et tu souris stp. Et n’oublie pas tu vaudras toujours moins. La soumission ton putain de créneau. Ah, soit responsable pour l’autre connard, il attend. Fais toi broyer la colonne en silence. N’essaye pas de suggérer que tu AS moins, tu ES moins.”
Sur cette page, des petits mots de colère dispersés : “ABSOLUTE ASSHOLE” “INFÂME CONNARD” “JERK” “FUCK Y*U”
11h37 “Petite partie de Scrabble pour me calmer, avec ma voisine. C’était vraiment sympa. I am -less- mad. Still mad. But less. As long as I don’t think about it. Et puisque je ne suis pas anorexique, ce sera pas grave de rater le repas de midi.”
18h14 J’ai mangé une pomme ce soir. J’ai aussi fait du sport, dessiné, ping pong et papote. J. essaye de me parler des fois, piercing aujourd’hui. Elle est froide car pas bien. M. aka “femme ou pd” s’est cognée la tête au sol ce soir. Aucune pitié vu que je voulais lui en mettre une. J’ai aussi eu ma coloc en visio. Bon, pour les affaires, mais j’ai vu les chats aussi et c’est cool. Maintenant que je ne suis plus seule ça va mieux. Alors que mon tél est mort à 15h“
Pour contexte, nous n’avions pas accès au secteur fermé aux cables pour mise en danger, c’était comme ça pour tout le monde. Du coup, on pouvait charger le téléphone que la nuit en le donnant aux infirmiers.
22h15
““J’ai envie de crever” Première pensée quand on m’aide. Pourquoi ? J’ai joué aux dames avec C., c’était fun. Et je crois que M. m’a entendu dire “Karma”. J’assume. Une infimière m’a beaucoup parlé. D’équilibre. De prendre le temps. Voir une nutritionniste. Venir parler aux soignant•e•s. Aux gens. ELle est très gentille. Alors pourquoi mon cerveau répond “J’ai envie de crever”“
27 avril 8h47 “J’ai envie de crever. C’est pas d’hier en fait. Ça fait longtemps que je n’en peux plus. Je l’ai tellement dit. Tuez moi. Tuez moi. Tuez moi. Tellement automatiquement : un réflexe, pas la réalité, mais la réalité quand même. 4 ans et plus de psy sans pleurer. Tout reste dedans. On recommence les antidépresseurs, au secours. […]”
12h59 “Ça va “mieux”. Je veux mourir mais avec calme Valium et antidépresseurs ajoutés. J’ai gagné 2 matchs de ping pong. J’imagine que j’irai dessiner. J’aide un nouveau avec son tel aussi. Donnez moi des lames. Sortez moi de là.“
17h23 “J’ai eu mon psy au téléphone. Il m’a expliqué ce qu’il s’était passé. Il veut aussi que l’on parle de Hana. Que je note ses dires, ses attitudes. Ça va être dur. En attendant j’ai marché puis trop crevé pour le sport. “Ce soir” j’ai décidé. Oh et j’ai aussi eu mon père au téléphone, on a papoté enfin surtout moi. Je sais qu’il veut me rendre visite. J’ai refusé d’avoir contact avec ma mère. Pas le moment, puis je veux pas. Ma coloc et sa copine m’ont filé des affaires, c’était un peu fastidieux les pauvres. Je sympathise avec un type aussi, son soucis de tél est réglé mais je l’aide à charger. La nana “femme ou pd” lui a demandé à mon sujet aussi, il est venu s’excuser à moi tellement il était mal. Elle a pété ses lunettes, j’ai essayé d’aider, mais bon.“
22h16 “Je n’ai pas envie d’aller dormir, Il faut que je fasse attention avec l’alimentation, manqué de faire 2 malaises. Sinon ce soir petite tisane, J2. m’a conseillé pour tik tok, tressé C.”
28 avril 8h23 “J’ai dormi cette nuit, jusqu’au réveil pour les fichus médocs. Bien antisociale dans les premières minutes mais en bougeant ça va mieux. Breaking news je culpabilise de mon poids. […] Hana a fait un vocal hier”
15h46 “Il y a beaucoup à dire. On a bien papoté avec Cynthia but elle avait permission. Moi j’étais bien fatigué mais j’ai fait mon sport. On s’est appelés avec E. (j’ai installé Snap). Plein d’histoires de mecs nuls en vrai encore. De elle est trop belle c’est pas leur faite, de je te de suis de la gare de T. à ailleurs, de je t’insulte pour un café. J’ai eu le Dr S. aussi. Bon signe que mon sommeil revienne, et on a parlé addiction aux écrans et de son fils c’était cool cette fois. J’ai fait la balade et parlé de mes difficultés avec une infirmière, notamment de communication. J’essaye, comme je lui ai dit.”
19h44 “Je leur ai rendu le pins, parlé de mes idées noires, fait “l’adulte”. J’ai aussi parlé avec B. et le type. C. va mal. […] Et coup de tel à mon père ça fait du bien.“
20h46 “C. gère mieux. Moi… je sais pas. Pas trop. Tercian ce soir. Dosé. J’en aurais pris tellement. C’est là que je sais que ça va pas encore. Ce pouvoir d’autodestruction. Je fuis et je fuis.”
*Troubles dissociatifs de l’identité/Autres troubles dissociatifs de l’identité
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