Introduction
Retracer l’histoire de l’autorail en Belgique est une tâche ardue car il y a eu de très nombreux modèles d’autorails, surtout avant la seconde guerre mondiale. Après le second conflit mondial, l’autorail est devenu le parent pauvre de la SNCB jusqu’au milieu des années 1990 où, pour la première fois depuis plus de trente ans, la SNCB commandait des autorails neufs! Il s’agit d’un fait atypique en Europe. En effet, la plupart des autres réseaux européens ont régulièrement renouvelé leur parc d’autorails et continuent de le faire.
Depuis la seconde moitié des années 1990, l’autorail léger a fait un retour en force, surtout en Allemagne, où la régionalisation des dessertes locales a été un formidable moteur pour le développement de matériels adaptés aux services pour lesquels ils sont destinés. Plusieurs modèles sont devenus des « best-sellers » tels le « Talent » de Bombardier ou encore la gamme « Coradia Lint » d’Alstom par exemple.
Retour donc dans la seconde moitié du XIXe siècle. L’autorail a ouvert de nouvelles perspectives pour les lignes secondaires et à faible trafic; d’autant plus que le matériel léger diminue encore les frais d’exploitations de ces lignes souvent déficitaires. Mais nous ne sommes pas là pour polémiquer sur des choix faits antérieurement et qui, de toutes façons, ne peuvent plus être changés.
Chaque type d’autorail existant ou ayant existé (à l’exception des voitures à vapeur type “Belpaire” qui sont largement évoquées ici) sera abordé dans la seconde partie de cette étude sous forme de fiche spécifique pour chaque type. La problématique des lignes secondaires
C’est très tôt que les chemins de fer Belges sont confrontés au problème de la desserte des lignes secondaires. Déjà en 1875, l’on cherche des solutions pour desservir ces lignes de manière économique. C’est ainsi qu’apparaîtront des trains à vapeur extra léger aussi appelés “trains-tramways” composés d’une machine et de - dans la plupart des cas - deux voitures extra légères (système Belpaire). La fréquence des départs et la multiplicité des arrêts sont les clés du succès de ce type d’exploitation outre le fait que les coûts sont réduits. L’avantage de l’autorail par rapport aux trains-tramways
Malgré le fait que l’autorail réduit pratiquement de moitié les frais d’exploitation par rapport au train léger à vapeur composé de deux voitures, il offre aussi de nouvelles possibilités: arrêt sur demande aux passages à niveaux, ils peuvent s’intercaler entre les trains lourds offrant de nouveaux services provoquant de nouveaux déplacements. Le but visé au début des années 1930 lorsque les premiers autorails entreront en service, c’est de ramener des clients au rail! Ainsi donc, le problème des lignes secondaires n’est pas neuf. Déjà à l’époque, l’automobile rivalise avec le chemin de fer!
La naissance de l’autorail
Comme nous l’avons déjà expliqué plus haut, le problème des lignes secondaires n’est pas neuf et déjà dans le seconde moitié du XIXe siècle le problème de la desserte économique de ce type de ligne se posait. C’est sans doute à cause de cela que l’autorail est né en 1875. Le premier autorail était évidemment un véhicule à vapeur ce qui n’allait pas manquer de poser quelques problèmes car la vapeur dans sa forme classique n’était pas très adaptée pour ce genre de véhicule. D’une part le véhicule pesait lourd, ce qui était opposé à l’idée d’une desserte économique, d’autre part, le moteur à vapeur à attaque directe des roues par les bielles impose une relation rigide entre le diamètre des roues motrices et la vitesse maximum, comme l’écrit P. Van Geel dans Rail et Traction [1]. On le voit, pas vraiment la solution économique que l’on espérait. De plus, cet autorail à vapeur se traînait littéralement…
Ces premiers autorails à vapeur, appelés voitures à vapeur, ont été inventés par Alfred Belpaire [2], ingénieur ostendais qui avait créé le foyer plat à grande surface qui équipa quasi toutes les machines à vapeur entre 1853 et 1898.
Deux exemplaires de ces “voitures à vapeur” furent construits par l’atelier Central de Mechelen. D’autres le seront par l’industrie. Deux de ces autorails à vapeur seront même exposés à Paris lors de l’exposition universelle de 1878. Les “voitures à vapeur” qui eurent cet honneur étaient celle construite par A. Cabany à Mechelen avec chaudière guitare des ateliers de Boussu; qui portait le n°13 et la voiture n°8 construite par la Compagnie belge à chaudière guitare transversale dont cinq exemplaires avaient été construits. Pour l’anecdote, cette voiture n°8 explosa en gare du Quartier-Léopold à Bruxelles en 1880 et fut remplacée par la voiture n°15. Au total, ce sont 59 voitures à vapeur qui seront construites entre 1876 et 1889. La voiture n°57 sera également exposée à Paris en 1900. En 1890, l’effectif était de 58 véhicules, la voiture à vapeur n°1 ayant été démolie en 1882. Les dernières voitures à vapeur disparurent peu après la première guerre mondiale. Pourtant la SNCB testera encore plusieurs types d’autorails à vapeur, nous y reviendrons plus tard.
Le moteur diesel, une révolution!
Le moteur diesel a été inventé par… Rudolf Diesel, ingénieur allemand né à Paris le 19 mars 1858, décédé dans la Manche dans la nuit du 29/30 septembre 1913 lors d’un voyage en Grande-Bretagne où il devait présenter de nouveaux projets et dans dans des circonstances non élucidées. Il étudia à la “Technischen Hochschule München Maschinenbau” où il décrocha un diplôme d’ingénieur. En 1894, alors âgé de 36 ans, il publie “théorie et construction d’un moteur thermique rationnel” (Theorie und Konstruktion eines rationellen Wärmemotors).Un atelier d’essais fut établi à Augsburg en Allemagne. Krupp ainsi que la “Maschinenfabrik Augsburg” intéressées par la locomotive diesel donnèrent des fonds pour ces travaux. Divers essais eurent lieu avec du charbon pulvérisé vite abandonnée au profit du gasoil, plus facile à doser. On peut dire que le moteur diesel est né le 17 février 1897 lors d’une présentation à Augsburg. Le moteur diesel apparaît comme le moteur thermique le plus rentable économiquement.
Les avantages du moteur diesel sont sa faible consommation, sa légèreté, le fait qu’il ne consomme pas d’eau, son rendement élevé, le peu de place qu’il occupe pour ne citer que les plus importants. On le devine, l’invention du moteur diesel est à l’origine du fabuleux développement que connaîtra l’autorail dans les années qui suivirent.
L’autorail diesel existait déjà avant le premier conflit mondial. La Suède inaugurera l’ère de l’autorail diesel avant que la Suisse et l’Allemagne ne s’y intéressent à leur tour. La guerre de 14-18 a servi à tester de nombreuses technologies nouvelles et permettra au diesel de se développer mais pas en Belgique, pays toujours voué au culte du charbon à l’époque. Il faudra la grande crise économique des années 1929-1930 pour que les chemins de fer belges s’intéressent à ce type de combustible. Ainsi la recherche d’économies pour les lignes secondaires qui grèvent les rares bénéfices des grands axes amènera la SNCB à tester divers types d’autorails diesels.
L’autorail, seulement utile pour les lignes secondaires?
La réponse est non et nous allons vous le montrer. L’idée de relier rapidement les grandes villes sans arrêts intermédiaires n’est pas neuve.
Ainsi dès le 1er juillet 1908 les premiers trains “blocs” [3] relient Bruxelles à Antwerpen couvrant la distance de 44 km en 34 minutes. Quinze de ces trains étaient prévus par jour.
La Belgique, à la pointe de l’initiative à cette époque crée le 1er juin 1923 le premier train “bloc” international entre Bruxelles et Paris. Pour la première fois en Europe, un train relie deux capitales sans arrêt à la douane, une petite révolution en ces temps là!
Le 5 juin 1925, 18 trains blocs sont mis en service au départ de Bruxelles vers Oostende, Liège, Charleroi et Mons bientôt suivis par les trains “blocs” interprovinciaux si bien qu’en 1930 ce sont près de 100 trains blocs qui sillonnent le pays!
Notons aussi qu’à l’été 1939 deux trains rapides ne comportant que des voitures de 1ère et 2ème classe (il y avait trois classes jusqu’en 1956) relient Bruxelles à Oostende(Quai). Une sorte de train rapide de luxe intérieur voit ainsi le jour reliant les deux villes distantes de 115 km en une heure avec un arrêt à Brugge. La remorque est confiée aux locomotives type 12 dont l’une d’elle établira un record de vitesse sur rails! Enfin à partir de 1940, un train identique est mis en route entre Bruxelles et Liège couvrant également la distance de 100 km en une heure, une réelle performance pour l’époque surtout pour une ligne au profil moins facile!
Où est le rapport avec l’autorail? Nous y venons. Si l’autorail léger apporte une solution pour les services omnibus sur les lignes secondaires parce que ses démarrages rapides permettent d’atteindre une vitesse commerciale élevée, l’autorail lourd, lui, permettra de relier deux villes rapidement non pas ici par des démarrages rapides mais par une vitesse de croisière élevée obtenue notamment par une forme aérodynamique.
Ainsi, à l’instar de l’Allemagne et de ses “Fliegende Hamburger”, la SNCB, procède à l’essai d’un autorail à grande vitesse et doté d’une grande capacité. L’autorail diesel-électrique double testé par la SNCB en 1934 permet de couvrir les 52 kilomètres séparant Bruxelles-Midi de Gent-Sint-Pieters en 32 minutes!
Le but recherché est de remplacer les trains “blocs” par des autorails - moins lourds que ces rames de voitures- rapides et fréquents. Suite aux essais, la SNCB commande huit autorails triples – afin de mieux adapter l’offre à la demande – qui vont permettre d’organiser pour la première fois dans l’histoire des chemins de fer une desserte cadencée horaire! Le parcours Bruxelles-Midi- Charleroi-Sud (56 km) est réalisé en 42 minutes!
En 1939, douze autorails doubles et 6 triples seront mis en service pour faire face à la diminution de capacité dont souffrent les gares de Bruxelles-Nord et Bruxelles-Midi dans le cadre des travaux de construction de la jonction.
Ainsi, si l’autorail est souvent vu comme la solution pour les lignes déficitaires ou à faible trafic, il peut aussi être un facteur d’amélioration des relations inter-villes. Évidemment, tout ceci se passe à une époque où la traction électrique n’en était qu’à ses premiers balbutiements en Belgique. La même logique de trains rapides inter-villes sera néanmoins reprise avec les automotrices type 1955 (n°502 – 539) qui furent aussi conçues pour des relations rapides avec peu d’arrêts intermédiaires. La marque de cette « logique » étaient les petites portes d’accès aux voitures. L’autorail durant la période 1939 – 1961
Pour permettre une exploitation économique des petites lignes, la SNCB fait construire à partir de 1939 un nombre important de petits autorails qui resterons célèbres: les types 551 (ex-types 609 et 622 pour les détails de la numérotation, on se rapportera aux descriptifs). Les premiers sont à deux essieux et les seconds à bogies. Il formeront de nombreuses années l’image du chemin de fer sur les lignes secondaires et rurales.
Le second conflit mondial et ses privations obligera la SNCB à utiliser le gazogène. En 1941-1942 cinquante autorails du type 553 verront le jour et parcourront un nombre incroyable de kilomètres en ces temps difficiles et assurèrent même des services pour lesquels ils n’étaient pas prévus!
Une fois la paix revenue, la SNCB dut faire face à une situation peut enviable. Nombreux étaient les autorails qui étaient disparus, détruits, inutilisables… Ainsi, un grand nombre d’autorails datant des années 1930 ont déjà disparu des écritures en 1947. De plus, le réseau est en très mauvais état au sortir de la guerre. Ce sera le chant du cygne de nombreuses petites lignes à travers tout le pays. De plus, l’électrification, dont les projets sont ambitieux à la fin des années 1940, confine l’autorail aux petites lignes moribondes. Il est exclu des grandes relations inter-villes.
Néanmoins, en 1952, une petite série de 20 autorails sera construite, le type 554 (future série 46) appelé aussi autorail de tourisme. Ils sont basés sur la technologie de l’autorail type 553 quelque peu améliorée.
La dernière grande commande d’autorail de cette période est celle qui concerne les types 602 à 605 (futurs 42 à 45) représentants 56 véhicules répartis sur les quatre types. Notons que l’effectif total de ce “design” aurait du être de 96. L’histoire et l’élagage du réseau en décidera autrement; les autorails du type 606 ne seront jamais construits.
En 1957, l’Atelier Central de Mechelen produit un prototype baptisé 630.001 (futur 4001). Cet autorail triple innove et peut être considéré comme le prédécesseur des rames réversibles diesel. Six autres véhicules seront construits en 1961. Ce seront les derniers autorails construits pour la SNCB pour une période de près de quarante ans! La période 1961 – 2004
L’autorail, après son formidable essor dans les années 1930, devient littéralement le parent pauvre de la SNCB après la seconde guerre mondiale. Outre les types 554, 602 à 605 et les 630, plus aucun autorail ne sera construit pour la SNCB avant l’an 2000! Pour être tout a fait complet, précisons tout de même que dans la seconde moitié des années 1980, la SNCB se pencha sur le remplacement des autorails séries 44-45 et 46 arrivant lentement mais sûrement à la fin de leur carrière. Ainsi deux projets sont dessinés (et ne dépasseront pas ce stade d’ailleurs): l’un basé sur la voiture M4, l’autre sur le VT 627 de la Deutsche Bundesbahn. Ces deux projets se basent sur l’autorail à caisse unique amené à assurer la desserte des lignes secondaires non électrifiées. Les lignes plus importantes seront quant à elles électrifiées.
On le voit, dans les années 1980, l’autorail ne semble plus avoir d’avenir en Belgique. deux projets n’iront pas plus loin que la table à dessin car en 1988, on se pose même la question de savoir s’il est économiquement tenable de continuer à desservir ces petites lignes dont l’avenir est de plus en plus sombre…
Le début des années 1990 marque un revirement dans la politique de mobilité de notre pays. Le plan STAR 21 (Spoor Toekomst/Avenir du Rail) concocté par le Ministre des transports de l’époque, Monsieur J.-L. Dehaene, change fondamentalement la donne concernant l’avenir du réseau SNCB. Plus question de suppressions d’arrêts, d’abandons de lignes mais au contraire un redéploiement de l’offre ferroviaire! Redéploiement qui inclut les petites lignes et l’autorail. On décide, à cette époque, de ne pas électrifier les lignes telles Herentals – Neerpelt [4] et Charleroi – Walcourt mais plutôt de faire construire des autorails doubles modernes pour remplacer les rames réversibles de voiture “M2” poussées ou tractées par des locomotives diesel série 62/63.
La commande sera passée en 1997 et la livraison des 80 autorails débutera en l’an 2000. Une commande supplémentaire de 16 véhicules sera même passée pour faire face aux besoins importants de la ligne Antwerpen – Neerpelt. Finalement, les 41 seront en surnombre et l’on retrouve quelques exemplaires perdus sous la caténaire dans la région de Charleroi et de Kortrijk (situation 2005).
Bibliographie
-
J. Vandenberghen, Evolution de l’autorail à la SNCB, SNCB, département matériel, 1994;
-
U. Lamalle, Histoire des chemins de fer Belges, Office de publicité, Bruxelles, 1943;
-
P. Van Geel, Les autorails belges, in Rail et Traction n°57, nov.-déc. 1958, p.299-337
-
J. Heroufosse, Les autorails de la SNCB, in Rail et Traction n°130, 4/1978, p32-53;
-
H. Scaillet, J’ai conduit les autorails, la ligne Mons - Chimay, GTF éditions, 1999;
-
Rail Photo n°25, mars-avril 1989
Notes
[1] P. Van Geel, Les autorails belges, in Rail et Traction n°57, p. 299, novembre-décembre 1958
[2] Alphonse Belpaire est né à Oostende, le 25 septembre 1820, sorti en 1840 de l’Ecole Centrale des Arts et Manufactures de Paris avec un diplôme d’ingénieur-mécanicien, il entra au service des chemins de fer de l’Etat belge en septembre 1840. Il décéda en 1893.
[3] L’origine du mot “train bloc” vient du fait que les voitures affectées à ce type de train étaient reliées entre-elles par un attelage central mains non automatique rendant pratiquement impossible le désaccouplement ou l’accouplement les voitures en gare. Cette opération devait se faire en atelier. Ainsi en cas d’avarie, il était nécessaire de rebuter toute la rame.
[4] La ligne 19 a pourtant bien été électrifiée et même rouverte jusqu’à Hamont à la frontière néerlandaise. La ligne 15 Hasselt - Mol a également été mise sous tension en 2023.
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